Le contexte : situation de TIV en 1995 – 96

En 1995, Gérard Daguisé, directeur de TIV, donne à l’entreprise un axe de développement pour les années à venir :

Faire du résultat durablement pour assurer la pérennité de notre activité.”

La situation de la “SBU” (Strategic Business Unit) TIV est alors la suivante :

  • d’ici 2 ou 3 ans la fin des activités Tubes à Rayon Cathodique sur St Egrève et des Tubes Caméra sur Moirans est envisagée ;
  • en conséquence, TIV va faire face à une baisse du résultat pendant 2 ans jusqu’à ce que la K7X, la tête image IIR et les PAP apportent du chiffre d’affaire ;
  • côté clients les attentes sont les suivantes : baisse du coût des produits associée à une demande croissante des performances, une meilleure adaptation aux fluctuations de la demande et une mise plus rapide sur le marché des nouveaux produits ;
  • les rendements de fabrication des IIR sont toujours instables et insuffisants ;
  • côté social l’entreprise doit se préparer à la réduction du temps de travail qui s’annonce pour les années à venir.
–> Comment faire face à l’ensemble de ces changements ?

Il s’agit de déployer les valeurs de l’entreprise :

  • orientée client
  • responsabilisante (invitation à l’autonomie)
  • transparente
  • ayant le sens économique
  • avec un esprit d’équipe : partage de stratégie et d’objectifs

Fin 1995, Daniel Woehrn est chargé de mettre en place 6 axes de progrès pour permettre d’atteindre l’objectif de résultat pérenne fixé par Gérard Daguisé.

  • développer une vision stratégique pour faire face à l’évolution du contexte et du marché : faire évoluer nos produits, nos techniques, nos moyens industriels et notre organisation en conséquence
  • Mettre plus vite sur le marché nos nouveaux produits
  • Réduire le temps entre la prise de commande et la livraison
  • Développer l’autonomie des collaborateurs
  • Développer le sens économique de nos actions
  • Maîtriser l’information (technique et stratégique)

En 1996 des groupes de travail sont constitués avec un pilote sur chacun de ces axes (voir détail dans Profil S37/96).
L’annonce de cette action sera faite au CE de juin 1996.

Par ailleurs, une réflexion est amorcée pour augmenter l’employabilité des personnes concernées par la fin des TRC et TC afin qu’elles puissent être employées dans les activités en développement ou en croissance : PAP, K7X, XES et Tête image IIR.


Le 4/01/1996 une réunion a lieu à Moirans avec le Greta Sud Isère pour envisager des formations en vue d’une qualification “CIPP Conduite de Process”. La question est posée des compétences nouvelles à développer.

Le 17/01/96 – Suite à une réunion interne, pour accroître le capital de compétences de chacun et développer son employabilité dans le cadre des évolutions futures du département, il est décidé d’orienter les actions de formation des opérateurs (60 personnes par an) sur plusieurs axes :

  • la compréhension du fonctionnement de l’entreprise pour accéder à une vison globale
  • le développement du travail en équipe (tronc commun)
  • des compétences en qualité, logistique et maintenance (formations spécifiques)

Le 20/02/1996 lors d’une nouvelle réunion sur le même sujet avec le GRETA, il est évoqué pour la première fois que ces formations devraient être synchrones d’un changement culturel dans l’entreprise. Il s’agit de susciter d’une part un élargissement de la conscience professionnelle, chacun doit pouvoir expliquer dans quel contexte et pour quelle finalité il fait ce qu’il fait. En même temps l’encadrement doit être capable de donner des signes de reconnaissance et d’encouragement quand quelqu’un fait ce qui est attendu. Le contenu des postes de travail doit être enrichi avec une marge d’autonomie invitant à prendre des initiatives de bon sens (comme à la maison). Des audits avant – après les formations sont envisagés.

Le 10 juin 1996 le syndicat Trait d’Union diffuse un tract avec des interrogations sur les perspectives de réorganisation industrielle à TIV

Les 18 et 19 juin 1996, en tant que pilote de l’axe de progrès “Développer l’autonomie des collaborateurs, Alain Auria participe au séminaire “Choix organisationnels et compétitivité” avec Daniel Woehrn. Dans ce séminaire, Hervé Seyrieyx, membre du Conseil Economique et Social, fait une intervention sur l’impact des évolutions actuelles sur l’humain dans les entreprises.

Mais c’est le 21/06/1996 qu’a lieu la réunion qui fut le vrai point de départ de la démarche “Travailler ensemble”. Pour ne pas se limiter aux offres du Greta Sud Isère, les RH de Moirans décident de consulter aussi l’AFPI, en ajoutant le volet “changement culturel” au cahier des charges. Ce jour là, Marcel Soligny (AFPI) et Jocelyne Garcia (Cabinet Cohérence) présentent un projet qui emporte l’adhésion des personnes présentes. Après la présentation assez classique d’actions de formation par l’AFPI, Jocelyne Garcia apporte des éclairages et des propositions pour répondre à la demande de changement culturel. L’accès à l’autonomie se fait nécessairement par des étapes successives dans lesquelles évoluent le rapport à l’autorité hiérarchique et la nature de la motivation des personnes. Le point de départ est une situation de dépendance par rapport à l’autorité et l’environnement. Pour en sortir on passe forcément par les cases contre-dépendance puis indépendance avant de parvenir à la posture d’interdépendance où un dialogue créatif s’établit entre les partenaires. Ce mouvement est à susciter et à accompagner de bout en bout. Aux savoirs théorique et pratique qu’apportent classiquement les actions de formation, il convient d’ajouter des “savoir être” et “savoir évoluer” qui s’instaurent d’une autre façon : en rejoignant les motivations profondes des personnes. Pour y parvenir, Jocelyne Garcia propose de faire au préalable un diagnostic culturel de l’entreprise: quels sont les croyances, les valeurs, les stratégies de réussite et d’échec, les jeux relationnels qui ont cours à TIV ? Elle propose pour cela un module de 3 jours de cohésion d’équipe.
Un plan de formation incluant ces propositions est proposé par l’AFPI.

Ce module cohésion d’équipe est adopté et proposé à 13 personnes de l’encadrement le 27 août et les 10 et 11 septembre 1996.

Les débuts de l’intervention

Journée du 27/8/1996 :Faire en sorte que demain il y ait du travail en France pour nos enfants

Thèmes abordés (d’après les notes prises par JLB) :

  • motivations pour cette intervention : perspective d’une organisation de la production en ilots pour gagner en efficacité industrielle. Développement de l’autonomie et de l’employabilité des personnes. Passage de la dépendance à plus de responsabilité.
  • Pour résoudre un problème (technique ou relationnel), ne pas sauter du symptôme à des solutions : questionnement sur les racines du problème pour envisager le changement à partir de là. C’est ce qu’on a appelé “le pas de côté”.
  • Besoin de passer d’une logique individuelle à un logique collective pour traiter nos problèmes.
  • Il y a une zone de recouvrement entre les aspirations individuelles des personnes et les enjeux institutionnels de l’entreprise. Là se trouve la motivation pour agir ensemble.
  • Il y a en nous des résistances au changement. Quitter l’état actuel pour aller vers une autre organisation plus adaptée, c’est d’abord un deuil. Présentation des étapes successives d’un deuil. On aborde ce chemin d’abord en terme d’objectifs avant de parler de moyens.
  • Quelle est la réelle motivation des participants ? (tour de table) –> Quand GD nous dit “Faire du résultat durablement” pour chacun de nous cela se traduit par “Faire en sorte que demain il y ait du travail en France pour nos enfants” !
  • Quels sont les risques de sabotage de notre part ? Scepticisme, perdre le cap de vue, manque de continuité dans l’effort, baisser les bras devant les obstacles, autosuffisance…
  • Chantier à la fois personnel et collectif, en cascade en descendant dans la hiérarchie.
  • Une liste des objectifs contradictoires auxquels nous sommes soumis est établie (voir le CR manuscrit)
  • Nous répondons collectivement à un questionnaire pour établir le scénario culturel de notre entreprise : personnage fondateur, leaders, rites internes, valeurs, slogan, ambiance, interdits, système de récompense, métiers, stratégie…

Journées des 10 et 11 septembre 1996
Thèmes abordés :
  • Exercice de “Photolangage” : choisir 2 photos qui évoquent le mieux ce que vit en ce moment notre entreprise et les commenter.

Au terme de cet exercice, il semblait que tout était dit…

  • Exercice suivant : écrire la fin d’une histoire de famille. Après un passé heureux, que vont devenir ces enfants dont la mère est maintenant vieillissante et le père absent ? Imaginer leurs relations, leurs émotions et ce qu’ils vont faire chacun ? Métaphore de notre entreprise au passé glorieux et à l’avenir incertain.
  • Exercice sur les messages contraignants qui ont cours majoritairement dans notre entreprise. Classement parmi : Faire parfait – Faire plus vite – Faire des efforts – Être fort… mise au défi – Faire pour être reconnu. Quels sont les contraintes dominantes ? Comment s’en distancier ? –> scores max sur faire effort et faire parfait.
  • Décrire précisément la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui puis la situation vers laquelle nous voulons aller.
  • Quels sont nos freins pour avancer ? Quels sont nos points d’appui ? Qu’est-ce que nous sommes prêts à abandonner pour pouvoir avancer ?
  • Le changement nous met en deuil de ce que nous quittons. Nécessité de mettre en place des lieux de parole pour que les personnes puissent exprimer ce que ce changement leur fait vivre et puissent être entendues dans les difficultés que cela occasionne pour elles.
  • Imaginer 2 autres fins possibles à l’histoire inachevée…
  • Mise en évidence du mythe collectif du sauveur = le marché, le produit ou le dirigeant qui vont nous sortir de là –> cette attente imaginaire nous maintient dans le statuquo et nous empêche de nous mobiliser pour réagir.
  • Mise en évidence que nous sommes dans une culture du non dit, du conflit évité. Le conflit brutal conduit à la rupture mais le conflit (inévitable et nécessaire) bien géré conduit au débat et à la créativité. Nous avons besoin d’apprendre à mieux vivre nos conflits.
  • L’évolution vers l’autonomie n’est pas évolution vers l’indépendance ou l’autarcie. –>Évolution vers une interdépendance, dans un cadre collectif. L’autonomie ne se décrète pas : “Sois autonome ! ” est une injonction paradoxale. Elle est induite par un environnement qui l’autorise et l’encourage et des exemples qui la modélisent.
  • Une équipe : des personnes qui sont ensemble pour aller dans une même direction (objectif commun – raison d’être) . Chacun a un rôle bien défini. Des règles de fonctionnement décidées en équipe se mettent en place avec des marges d’autonomie. Les aléas font évoluer les règles à partir d’une réflexion commune –> autonomie interactive.
  • Cette organisation nécessite la mise en place d’un système de reconnaissance clair
  • Le changement de scénario se fait en accompagnant le processus de deuil, par un travail permanent de communication au sein des équipes, au rythme des personnes et du groupe.
Compte rendu de ces 3 journées d’intervention, établi par Cohérence

Lancement de l’intervention “Travailler ensemble”

27 septembre 1996 : Réunion de bilan 15 jours après les 3 journées d’intervention. Synthèse des apports.

16 octobre 1996 : Réunion de lancement de l’intervention “Travailler ensemble”

Définition des contenus de communication à l’ensemble de l’entreprise :

Les “journées starter” ont eu lieu pour l’ensemble des salariés de TIV, Direction comprise.

Puis, de 1998 à 2006, des “coachings collectifs” ont eu lieu à la suite des journées starter pour entretenir la culture de dialogue et de coopération. Les personnes participantes étaient toutes volontaires.

Pendant plusieurs années 3 groupes de formation avaient lieu en parallèles. Chaque groupe se donnait une charte relationnelle. Voici la charte du “coaching A” :

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Les suites de “Travailler ensemble”

Jocelyne Garcia a animé mensuellement des journées de coaching collectif jusqu’en 2006.
Puis des “Ateliers de compétences relationnelle” ont été animés mensuellement en interne par Jean-Luc Berger, Martine Saunier et Marie-Christine Camy jusqu’en 20210. C’étaient des lieux pour s’entraîner à faire des pas de côté par rapport aux situations conflictuelles en pratiquant un dialogue régulateur. Les personnes inscrites pouvaient participer à plusieurs séances de suite. Elles pouvaient s’initier préalablement aux démarches à l’aide d’un didacticiel en ligne sur l’intranet. Toutes les catégories professionnelles étaient représentées. Le directeur industriel pouvait y rencontrer l’opérateur de production. Les animateurs ont été supervisés par d’abord par Cohérence puis par Jean-Luc Mermet, fondateur du cabinet Reliance.

Causerie sur “Travailler ensemble”

Une causerie pour évoquer différents aspects de cette période a eu lieu le 7 avril 2022 avec des acteurs de l’époque. Le compte rendu de cette rencontre est accessible sur cette page du site Tedimage38. Il est suivi d’une enquête faite en 2007 sur les perceptions de “Travailler ensemble” par les employés de TIV.

Une intervention controversée

Ces formations aux compétences relationnelles étaient bienvenues pour un bon nombre de personnes (voir les résultats de l’enquête mentionnée ci-dessus). Pour d’autres elles semblaient inutiles, perçues comme du temps perdu, ou encore suspectes car peut-être des lieux de manipulation pour asservir les personnes à la Direction voire les culpabiliser en cas de tensions relationnelles. Le tract de la CGT ci-après résume les différents reproches qui pouvaient être faits à ces interventions :

Le texte de ce tract est utile pour surveiller les erreurs à éviter dans ce genre d’intervention.

Le but pour tous ceux qui ont s’y sont volontairement investi a toujours été de rechercher le bien des personnes et de l’entreprise.

Évolution vers des groupes de parole en 2009 – 2010

La dernière année, une réflexion du groupe d’animateur lors d’une supervision avec Jean-Luc Mermet a fait évoluer les ateliers vers des groupes de parole.

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